02-03-2023 : Où il est question de culture et de sport

En janvier 2024, les entreprises locataires à la Cité du cinéma et l’ENS Louis-Lumière devront quitter les lieux pour laisser place au village des athlètes des jeux Olympiques. Un déménagement forcé, d’abord présenté comme temporaire, qui ne passe pas.

La Cité du cinéma regroupe, à Saint-Denis, des studios, des maisons de production audiovisuelle, des plateaux de tournage et des formations aux métiers du cinéma, du son et de la photographie. En janvier 2024, tout ce beau monde devra plier bagage pour laisser place au village des athlètes des jeux Olympiques. Cette transformation crée un chamboulement dans l’ensemble de la Cité, et son délitement sous-jacent depuis plusieurs années devient de plus en plus audible, à mesure que la date fatidique approche.

Ce projet, lancé par Luc Besson dans les années 2000 avec l’ambition de créer un lieu comme la Cinecittà romaine, a vu le jour en septembre 2012. Le réalisateur était soutenu par le gouvernement de l’époque, qui a permis à la Caisse des dépôts et consignation de faire partie des acheteurs du bâtiment, avec Vinci Immobilier. Pour entériner ce partenariat public-privé, l’École nationale supérieure Louis-Lumière (ENS Louis-Lumière) a quitté son campus historique de Noisy-le-Grand pour venir à Saint-Denis. Luc Besson y a installé sa société de production, EuropaCorp, et a ouvert ensuite la porte à de nombreuses entreprises du milieu du cinéma.

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Pendant cinq ans, les affaires prospèrent à la Cité du cinéma. Une effervescence naît. Franck Carle, fondateur de la maison de production La Terre tourne, se rappelle avec émotion de cette période de franche camaraderie : « Il suffisait de prendre l’ascenseur pour louer du matériel, demander un service à la menuiserie, aux costumières ou à l’atelier d’impression. On avait tout à portée de main. Quand on allait manger au BO [le restaurant de la Cité, ndlr], on discutait avec des étudiants en cinéma, qui venaient ensuite travailler avec nous. »

En 2017, alors que Paris remporte les jeux Olympiques pour 2024, il est rapidement annoncé que le village des athlètes prendra ses quartiers à Saint-Denis. Les locataires de la Cité du cinéma, comme Franck Carle, sont alors informés qu’ils devront quitter les lieux « temporairement » en 2024, pour laisser place à la cantine du village. Comme son bail se terminait en 2019, le producteur choisit de ne pas le renouveler. Et il n’est pas le seul. Cet endroit où régnait un « esprit de famille » est devenu « un vaisseau fantôme quasiment du jour au lendemain », assure-t-il. Un sentiment toujours présent aujourd’hui. Sur les panneaux qui indiquent où se trouvent les bureaux dans le bâtiment de la Cité du cinéma, on peut toujours lire les noms de ceux qui l’ont désertée, comme les sociétés de production La Terre tourne, De l’autre côté du périph’, ou encore l’école de maquillage de cinéma Make Up Forever.

Incertitudes et “manque de clarté”

À l’ENS Louis-Lumière, qui occupe l’aile face à celle d’EuropaCorp, ce déménagement forcé crée des tensions entre la direction d’un côté et les étudiants et les enseignants de l’autre. « Non au déménagement », « Stop aux menaces », « ENS Louis-Lumière en péril », peut-on lire sur des pancartes scotchées sur les murs de l’entrée de l’école. Alors que l’école est informée de son déménagement depuis 2018, les informations sur la période de celui-ci et le lieu provisoire où devaient se tenir les enseignements ont très souvent évolué au cours des cinq dernières années. « Au début, on nous disait qu’on devrait quitter les lieux de mai à octobre, puis à partir de mi-janvier, et maintenant on nous dit que le déménagement est définitif », rapporte une personne de l’intersyndicale qui préfère rester anonyme. Ce sont ces incertitudes et ce « manque de clarté et de transparence » que dénoncent étudiants et enseignants. Une pétition en ligne a été lancée au début du mois de février pour alerter sur la situation. Deux journées de mobilisation ont également été organisées. « La direction a annoncé le déménagement définitif en pleine AG avec les étudiants, raconte le représentant de l’intersyndicale. C’était assez humiliant de l’apprendre ainsi pour le personnel. »

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Rencontré le 22 février, Vincent Lowy, directeur depuis 2017, confirme que le déménagement de l’école sera définitif. Une éventualité qu’il n’avait pas évoquée lors de notre premier entretien, deux semaines auparavant. Les nouveaux locaux se situent au campus Condorcet à Aubervilliers, où l’école s’installera pour neuf ans, avant d’intégrer le campus de l’Université Gustave-Eiffel, à Champs-sur-Marne. « C’est un arbitrage du ministère de l’Enseignement supérieur », indique Vincent Lowy. Il explique que le loyer exorbitant que paye l’école à la Caisse des dépôts et Vinci Immobilier – 3,5 millions d’euros par an pour 7 120 mètres carrés – ne pouvait plus se justifier.

Qui s’installera à la place de l’ENS Louis-Lumière à la Cité du cinéma ? Vincent Lowy n’en a aucune idée et le bailleur n’a pas apporté de réponse à cette question. Le sujet de « l’après-JO » semble sensible. Certaines entreprises refusent d’en parler. Franck Carle garde l’espoir de se réinstaller à Saint-Denis, si la promesse cinématographique est tenue. Mais il craint, comme d’autres, que la Cité du cinéma ne perde l’essence de sa création et qu’il ne reste, au sortir des jeux Olympiques, qu’une coquille vide.