15-02-2022 : Catastrophe et Restauration - dynamique capitaliste, par Vidal Cuervo

Le fascisme est indispensable au capitalisme, pour toutes les raisons que nous connaissons et déjà exposées ailleurs - épuiser-purger l'appareil de production dans un effort de guerre ou de répression, rebattre les cartes des générations politiques vers un régime de "l'après", régénérer les messages positifs essentiels au capitalisme et son instrumentation des individus comme auto producteurs du capitalisme par une légende héroïque : celle qui voit se déployer l'ensemble des vertus capitalistes dans le feu de la Catastrophe. Le monde en proie à l'extrêmisme et au mal absolu, rompu de souffrance, est sauvé par l'ingéniosité de quelques uns : chefs de guerre solitaires, ouvriers et ouvrières anonymes, et hommes (masculins) individuellement résolus à mettre la bombe au bon endroit dans le bunker d’Hitler ou l'étoile de la mort.

Dans tous les cas, il y a le feu, l'individu souverain et décisif, la détermination comme vertu.

Le fascisme, pour ces raisons qu'il est une Catastrophe est, de surcroît indispensable parce qu'il fonde un mécanisme central au capitalisme : celui de la Restauration. Ce mécanisme est même plus que central, il est coextensif au capitalisme. les deux termes pourraient presque être confondus.

Le capitalisme est puissant parce qu'il n'existe que dans un futur éternellement relancé, ajourné : qui revient à l'éternel présent (celui d'une espèce de fin de l'histoire où des gens comme Francis Fukuyama, nous voyaient désormais parvenus).

Ce qui justifie le système capitaliste en tant qu'idéologie politique (ses différents modes économiques lui sont en fait secondaires) c'est qu'il tend, sans cesse vers une Catastrophe, et par suite, vers une Restauration.

Il faut la catastrophe de la Révolution française, et sa suite - Terreur, l'Ogre Napoléon - parce qu'il est indispensable qu'ait lieu la Restauration de 1815.

La grande peur de la Commune pareillement sert Cathos et bourgeois de manière identique en leur offrant un terrain d'exercice renouvelé, une voie limpide vers la colonisation, l'installation triomphale du capitalisme industriel.

On peut enchaîner les exemples, dont le plus évident, puisqu'il met en scène les termes qui y furent forgés : la deuxième guerre mondiale, dont l'issue est bien la restauration d'un ordre mondial et d'une sérénité retrouvée (mais crispée, soit, par la guerre froide).

Le capitalisme suscite le fascisme-catastrophe pour se réaffirmer périodiquement comme une purification, un monde rendu à une limpidité forcément conçue comme "pré-existante", et partant : comme réelle. Car dans une culture fatalement judéo-chrétienne, en tout cas pas débarrassée du mythe des temps anciens, l'avant c'est le paradis vierge. Restaurer c'est donc revenir au paradis, c'est réparer ce que la catastrophe avait détruit, ne serait-ce que par soulagement de se sentir rescapé.

Le fascisme-catastrophe est donc mécaniquement attaché à son Capitalisme-Restauration comme une tension, ou une polarité entre deux pièces d'une machine à mouvement perpétuel.

Il y a une différence entre ce mouvement inhérent, ou plutôt identifiable au capitalisme, et la stratégie du choc, même si les deux procèdent d'une même logique.

La stratégie du choc décrit par Naomi Klein, est opportuniste : s'il dépend des mêmes qualité de résilience (dans le sens approprié du terme) propres au capitalisme, il s'enclenche à la faveur d'évènements inattendus, naturels ou autres.

Tributaire d'éléments externes, la mise en place d’une stratégie du choc doit être suivie d'un discours où les solutions capitalistes à la crise en cours (privatisation, relégation de populations, répressions...) seront justifiées, l'explication devant apparaître "évidente", "organique", "naturelle"... La qualité "naturelle" du capitalisme remontant idéologiquement à Locke, Hobbes, Mills etc., et dont Weber a largement montré les similitudes avec la perception protestante du monde.

Dans tous les cas, la stratégie du choc suppose un storytelling, de justification (terme religieux) a posteriori, artificiel, pour faire apparaître naturelles les solutions.

Dans le cas du fascisme-catastrophe, rien de tel : il appelle le capitalisme-restauration de la même manière qu'une pièce revient en place par l'action de son contrepoids, dont elle est elle-même le contrepoids. La tendance vers le fascisme-catastrophe est intrinsèque au capitalisme. Le fascisme n'est pas un outil possible pour le capitalisme qu'on sortirait de l'armoire quand la machine ne fonctionne plus, mais dont on peut se passer si tout va bien.

Le capitalisme est un mouvement. Sa caractéristique est le mouvement, c'est son mode. Le retour à la Catastrophe est un moment à la fin d'une séquence, qui en entraîne une autre, de restauration. Le cycle extraction-production-consommation l’illustre assez.

Cette qualité mobile, est l'un des arguments majeurs lui permettant de se prétendre naturel, voire biologiquement fondé : ce qui ne change jamais, c’est le changement, tout est changement etc...

Dans un monde entièrement occupé, saturé par le capitalisme, il est quasi-impossible de considérer qu'il ne serait pas naturel, ni que les cycles catastrophe/restauration ne seraient pas naturels.

Si les cycles d'entropie le sont bien, naturels. il n'en est pas de même de cette construction humaine qu'est le capitalisme qui ne parvient jamais, derrière un cycle de croissance, à une étape de mort/recyclage/transformation, mais seulement à une séquence binaire fascisme-catastrophe / Capitalisme-restauration.

Ainsi, vouloir freiner le fascisme est nécessaire, l'éviter, inutile. Le fascisme est interne au capitalisme. Le Capitalisme tient comme menace le fascisme et comme promesse la restauration. la seconde est aussi fausse que la première est inévitable, sous une forme ou une autre...

Vidal Cuervo (un « ami » FaceBook)