21-04-2020 : Ubuesque

C'est le seul qualificatif qui convient à notre situation d'entre deux tours ! Un premier tour dont tout le monde s'accorde à reconnaître, à posteriori, les conditions de son déroulement pour le moins exceptionnelles (abstention record, annonce du confinement dès le lendemain prouvant la fragilité de cette décision qui aurait très bien pue (due?) être faite quelques jours avant). Des candidats élus qui regardent leurs concurrents battus continuer à exercer sans qu'ils puissent ou veuillent s'impliquer. Des candidats qui attendent le 2ème tour (quand?) en campagne permanente avec des moyens qui sont ce qu'ils sont dans cette période troublée … donc plus ou moins inégalitaires et hors législation. Des candidats battus qui continuent à exercer avec tout le temps et le pouvoir de « préparer » le terrain à leur successeur déjà désigné. Sans parler de ceux, « battus » qui passent leur temps à essayer de recueillir les attestations d'électeurs « non votant pour cause de coronavirus » afin de prouver l'écart de voix « anormal » de ce premier tour. J'en passe et des meilleurs cas particuliers. Quant aux spécialistes sur la question, ils s'évertuent quasiment tous, à parler du « délai raisonnable » d'entre deux tours … en se gardant bien de dire clairement ce qui n'est pas raisonnable. Le seul cas de report dans notre République (Mayotte pour cause de cyclone) avait entrainé un report d'une semaine qualifié à l'époque de raisonnable … !

Pourquoi ne pas tout annuler en reconnaissant qu'il n'y a pas d'erreurs, de griefs et donc de rancœurs liés à une séquence imprévisible. Nous avons bien été capables de nous mettre tous les soirs à nos fenêtres pour applaudir des personnels soignants, des auxiliaires de vies, des éboueurs et des hôtesses de caisses … (qui l'eut cru il y a seulement quelques semaines?). On reporte tout ça d'un an, histoire de laisser retomber le soufflet, de prendre le temps de légiférer si besoin, de garder le rythme électoral quitte à raccourcir le prochain mandat … et d'en profiter pour réfléchir au vote « obligatoire » demandé par 45% (c'est pas rien) des contributeurs du « grand débat oublié» ...

En conclusion et sans esprit polémiste (ce n'est pas mon style), un deuxième tour à faire dans un monde dans lequel tout est différent du monde dans lequel s'est déroulé le premier tour, avouez que ça n'a décidément et définitivement aucun sens ...

Quelques extraits et paroles d'experts.

Le code électoral est formel : le scrutin des municipales a lieu un dimanche, « en cas de deuxième tour de scrutin, il y est procédé le dimanche suivant le premier tour » (art. L-56). En cas d'aggravation de la situation sanitaire, un report du second tour rendrait donc le premier caduc et obligerait les électeurs à revoter pour les deux tours. « L'élection municipale est indissociable, elle forme un tout. Mon sentiment est qu'on refait tout ou rien. Si l'on considère que l'on ne peut pas voter dimanche prochain, il faut annuler le résultat d'aujourd'hui », argumente le constitutionnaliste Didier Maus.

Dominique Chagnollaud, président du Cercle des constitutionnalistes, a évoqué la même idée dans Le Figaro : « Ce report aurait pour effet, si le délai entre les deux tours n’était pas raisonnable, de porter atteinte à la sincérité du scrutin et invaliderait les résultats du premier tour, sauf dans le cas où un maire et ses colistiers auraient été élus dès le premier. » Si l’analyse des deux experts est avérée, une harmonisation de la durée des mandats serait nécessaire, certains maires pouvant être élus plusieurs semaines voire plusieurs mois avant d’autres, dans les villes où le scrutin serait repoussé.

Pourrait-il y avoir des recours possibles de partis politiques ou de citoyens pour faire annuler ce premier tour ?

C’est une question très technique. Sur le principe, on ne peut pas faire invalider un scrutin en disant « il est nul parce que je n’ai pas pu voter ». En revanche, imaginons l’hypothèse suivante où un candidat dans une commune arrive second, avec seulement 50 voix d’écart avec le premier. S’il est en mesure de produire un certain nombre d’attestations signées des électeurs de sa commune, qui disent « je ne suis pas allé voter, contrairement à d’habitude (c’est aisément vérifiable avec les listes d’émargement), parce que j’avais peur pour ma santé », et si ce candidat produit par exemple 60 attestations – soit plus que le nombre de voix d’écart avec le candidat arrivé en tête –, c’est un argument qui pourrait être examiné par le juge.

Si le second tour n’était reporté que d’une semaine, cela pourrait à la rigueur être raisonnable. Mais si report il y avait, vu la crise sanitaire dans laquelle nous sommes, il serait probablement de plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Donc un report du second tour conduirait à annuler le résultat du premier tour, et obligerait les électeurs à revoter pour les deux tours.