20-06-2020 : Je ne suis pas votre
nègre
En juin 1979, l’auteur noir américain James Baldwin écrit à son agent
littéraire pour lui raconter le livre qu'il prépare : le récit des vies
et des assassinats de ses amis Martin Luther King Jr., Medgar Evers,
membre de la National Association for the Advancement of Colored People
(NAACP) et Malcolm X. En l'espace de cinq années, leur mort a traumatisé
une génération. En 1987, l'écrivain disparaît avant d'avoir achevé son
projet. Il laisse un manuscrit de trente pages, Notes for Remember this
House, que son exécuteur testamentaire confiera plus tard à Raoul Peck
(L'école du pouvoir, Lumumba).
Avec pour seule voix off la prose fiévreuse et combattive de Baldwin, le
cinéaste revisite les années sanglantes de lutte pour les droits
civiques, les trois assassinats précités, et se penche sur la
recrudescence actuelle de la violence envers les Noirs américains, ce
qui confère une troublante actualité aux propos de l'écrivain. James
Baldwin ne se contente pas de dénoncer les violences et les
discriminations à l'égard des Noirs, la terreur dans laquelle lui et ses
semblables vivent. Il s'attaque à ce qui, dans la culture américaine, et
le cinéma hollywoodien en particulier, s'obstine à fausser la réalité :
l'innocence factice, l'héroïsme côté blanc, la souffrance, la faiblesse
côté noir, sans oublier les hypocrites scènes de réconciliations
raciales. "Les Blancs doivent chercher à comprendre pourquoi la figure
du nègre leur était nécessaire", assène-t-il lors d'une allocution
télévisée.
À ce commentaire, à mi-chemin entre colère froide et implacable
réquisitoire, dit par JoeyStarr (Samuel L. Jackson assurant, lui, la
version anglaise) répond, dans une alchimie impeccable, un fascinant
flot d'images (reportages, archives, extraits de films, photos) qui nous
propulse au cœur de l'identité américaine, voire occidentale, de ses
cruautés et de ses faux-semblants. En plus de rendre hommage à un
écrivain majeur, ce documentaire, primé à maintes reprises, offre un
voyage saisissant au cœur d'une société américaine au bord de
l'implosion. L'un des plus beaux films de Raoul Peck qui, à l'instar de
Baldwin, porte sur son sujet un regard sensible et engagé. (Télérama )
|