07-04-2020 : La transition d'Hervé Gardette (Chroniqueur à France Culture)

’En France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées’’. C’est ce que proclamait, au mitan des années 70, une publicité restée fameuse. La crise pétrolière était passée par là, le prix du brut s’envolait, ‘’c’est notre richesse et notre façon de vivre qui est menacée’’ disait la pub. Il s’agissait ni plus ni moins que de sauvegarder notre souveraineté en faisant la chasse au gaspi : on sait ce que cela a donné.

La France d’aujourd’hui n’a toujours pas de pétrole, mais face aux nouvelles crises, elle ne manque pas d’idées.  Si la vie économique s’est en partie arrêtée pendant le confinement, les usines à jus de crâne, elles, tournent à plein régime. C’est même, en termes de tonnage, notre première production nationale. Une marchandise qui, certes, a un peu de mal à s’exporter, mais du moins sommes-nous autosuffisants.

La profusion d’analyses en tous genres, sur les leçons à tirer, les mesures à mettre en place, les erreurs à ne plus commettre, ne se limite pas aux seuls intellectuels. J’ai ainsi relevé plusieurs appels à contributions ces jours-ci, dans la presse et sur les réseaux sociaux, pour préparer, tous ensemble, le ‘’jour d’après’’. Au passage, ne sais pas si ce ‘’jour d’après’’ fait volontairement référence aux ‘’jours heureux’’, le programme du Conseil national de la Résistance qui contribua à forger notre Etat-Providence, mais il y renvoie, puisque l’ambition est la même et que nous sommes censés être en guerre.

J’ai par exemple rejoint sur Facebook le groupe de discussion ‘’Quelles chroniques du renouveau ?’. Administré par le Comité 21, également connu sous le nom de Comité français pour l’environnement et le développement durable, il appelle chacun et chacune à faire part de ses ‘’indignations’’, ses ‘’espoirs’’, ses ‘’constructions’’. ‘’Nous nous inspirerons de vos remarques’’ peut-on lire sur la page d’accueil ‘’pour ajouter un nouveau chapitre à notre rapport sur la Grande Transformation’’ !

France Stratégie, rattachée à Matignon, vient de lancer de son côté un ’Appel à contribution pour un ‘après’ soutenable’’ : ‘’dès lors qu’il ne s’agit pas de relancer le système à l’identique, un devoir d’imagination s’impose à nous’’. Citons encore cette consultation nationale initiée par une soixantaine de parlementaires, à laquelle chaque citoyen est appelé à contribuer, pour préparer le fameux ‘’jour d’après’’, que ce soit sur le système de santé, le monde du travail, la consommation ou encore le partage des richesses.

D’un naturel légitimiste, j’ai tendance à prendre ce genre d’initiatives avec des pincettes. Que des députés appellent les citoyens à réfléchir au monde d’après, voilà qui s’apparente à un renversement des rôles. Par ailleurs, il me semble que Le Grand débat national, puis la Convention citoyenne pour le climat, étaient justement censés servir à produire de nouvelles idées : on pourrait peut-être commencer par les lire. Enfin, j’ai pour devise cette phrase de Brassens, qui me tient lieu de geste-barrière, et me fait douter de la qualité des productions trop collectives : ‘’le pluriel ne vaut rien à l’homme et sitôt qu’on est plus de quatre, on est une bande de cons’’

C’est ce qui nous différencie de l’intelligence des insectes, si j’en juge par la lecture d’un texte que viennent de republier les éditions Wild Project. Dans ‘’L’économie expliquée aux humains’’, l’auteur, Emmanuel Delannoy, se met dans la peau d’un coléoptère, pour prodiguer toutes sortes de conseils à l’humanité. Et il en arrive à ce constat : ‘’chaque être humain est, à titre individuel, potentiellement génial…Et pourtant, l’humanité semble encore incapable de mettre en réseau ce formidable potentiel. Les insectes, eux, semblent en revanche avoir mis au point une sorte d’intelligence collective qui vous fait tant défaut. Leurs capacités cognitives extrêmement limitées au niveau de chaque individu semblent même avoir favorisé cette émergence au niveau collectif’’.

Voilà donc le secret des insectes : limités individuellement, mais d’une intelligence redoutable collectivement, tandis que nous, nous produisons des idées mais nous avons du mal à les faire tenir ensemble. En France, on n’a pas de pétrole, mais on devrait s’intéresser davantage aux coléoptères.