Je ne sais pas ce qui m'a pris, ce 19 Août 2022,
alors que je parcourais ce que l'on appelle la presqu’île du Médoc, à vouloir
pousser jusqu'à cette plage ultime à quelques encablures de la pointe nord d'une
région dont le nom est surtout évocateur d'un nectar parmi les plus sublimes du
monde du vin.
Car cette sortie locale n'était destinée qu'à récupérer quelques flacons, certes
modestes, de ce jus réputé mais certainement pas d'aller remuer de lointains
souvenirs qui, il faut bien être objectif, ne risquaient que d'engendrer des
« c'était mieux avant ».
C'est de Soulac sur mer dont je parle.
Soulac l'éternelle, sa rue principale, le ponton, le sable doré, les tentes rayées blanc et ciel, les baïnes et puis, les vacances, les vacances, les vacances …
Maman, postière parisienne, se faisait détacher
les deux mois d'été pour « renforcer » le bureau de la commune dont la
population se retrouvait multipliée plusieurs fois pendant cette période
estivale. Nous la rejoignions régulièrement quelques jours par ci par là,
parfois sur plusieurs semaines pour nous aérer, comme on disait dans ce temps
là. Pensez dont, toute l'année à la capitale et les vacances en famille dans la
campagne de l'entre deux mers …
Alors nous prenions le car dans notre village jusqu'à la gare Citram à Bordeaux,
puis un autre car devant le bar Castan qui allait nous déposer, après quelques
heures de route et en passant par Castelnau, Saint Laurent et Lesparre, au pied
de la basilique ressuscitée des sables au XIX siècle. Et s'il pleuvait au
départ, nous savions qu'en arrivant nous trouverions le soleil, parole de grand
mère … comme en ce 19 Août 2022 !
Très vite, après m'être garé loin du centre, je
flâne dans des rues familières et retrouve facilement les villas louées au fil
des années : Ric et Rac, St Hubert …
Les Soulacaises, rénovées pour beaucoup, affichent fièrement leurs briquettes
rouges entourées de pierres calcaires, surmontées de ce pignon caractéristique
ou agrémentées d'une ou plusieurs tourelles pour les plus cossues. Toutes me
sont familières ...
Pourtant, rapidement, le sentiment de ne plus être à ma place me gagne. Je ne reconnais personne, personne ne me reconnaît. En fait, l'architecture n'a pas bougé mais tout le reste a changé.
La rue principale n'est plus de fait qu'un seul et
unique étal sans plus aucune porte à pousser, la file de passants vacanciers se
faufilant en son axe, soumise, de façon plus ou moins visible, à l'acte de vente
(forcé?). Les quelques bistrots et restaurants du haut se confondent en
mélangeant leurs terrasses sans limites. Je cherche en vain les cyclistes en
plomb du tour de France dans la vitrine du bazar qui est resté, lui, à sa place.
Le cinéma principal, qui avait déjà perdu son casino au début du siècle, a
laissé son activité et ses belles affiches promotionnelles à une banque.
Jusqu'au grand hôtel de la plage transformé en pizzeria …
Mais le pire était à venir quand je me plante devant chez Judici. Le royaume de
la glace, le lieu de rendez-vous des after plage, l'incontournable escale des
papilles du troisième âge, la promesse de récompense aux enfants, le plaisir
collectif familial, transformé en fast food du cornet à lécher, en drive des
deux boules glacées …
Incroyable et inimaginable crime de lèse majesté …
C'en était trop. Une sensation de profonde humiliation me gagne quand je réalise
que je me suis fait voler ma « madeleine ». Alors, en désespoir de cause, je me
précipite sur l'éventuelle miette restante par bonheur peut-être oubliée, la
plage.
Oui, elle est toujours là, majestueuse, d'autant plus que l'océan s'est retiré laissant des bancs de sable humides pour simplement marcher et des espaces de mer piégés par les mouvements de terrains servant de piscines éphémères aux plus petits. Oui, son sable est toujours aussi fin, aussi doré et aussi chaud en ce début d'après midi ou les plagistes du matin sont partis et ceux de l'après midi encore à table. Cet immense espace me rassure d'autant plus qu'il semble, lui, indestructible, plus fort que tous ces projets humains qui ont cherché, à travers le temps, à imposer leurs dérisoires rêves marchands. Un formidable « signal » et avertissement pour nous rappeler à notre modeste condition et en nous incitant à faire preuve de beaucoup plus d'humilité face à notre habitat … ce qui nous éviterait les « c'était mieux avant »